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Caroline Fourest : « Oumma.com et l’ambassade américaine méprisent la laïcité française »

La croisade s’amuse. Lundi, sur France Culture, l’essayiste Caroline Fourest a fustigé Oumma.com et l’ambassade des Etats-Unis, coupables d’entretenir des « affinités » en vue de saper le « modèle laïc français ». Esquisse du nouveau fantasme propagé par l’adversaire autoproclamée du « totalitarisme islamique ».

Aux armes, citoyens ultra-laïques. L’ennemi qui menace la Patrie ? Une alliance contre-nature : d’un côté, la cinquième colonne de la « droite religieuse américaine », incarnée par l’ambassade des Etats-Unis à Paris et, de l’autre, la redoutable Internationale islamiste représentée -excusez du peu- par la rédaction d’Oumma.com. Leur objectif commun : détruire la laïcité à la française, en toute simplicité. C’est la théorie du complot proférée sans vergogne, hier matin, par la journaliste Caroline Fourest sur une antenne du service public. Dans une chronique consacrée aux dernières révélations de Wikileaks, l’essayiste se réjouit tout d’abord de voir exposer au grand jour, grâce aux documents divulgués, le double discours des gouvernants arabes, hostiles, en privé, à l’Iran. Un satisfecit qui n’est pas sans rappeler celui exprimé uniquement par le gouvernement israélien, ravi de savoir ses voisins du Moyen-Orient embarrassés par ce grand déballage. Jeudi dernier, dans l’émission « Ce soir ou jamais » de France 3, l’ancien ministre des Affaires étrangères, Hubert Védrine, et un consultant en renseignement stratégique, Percy Kemp, avaient d’ailleurs signalé, à l’instar d’Oumma, cette exception diplomatique.

Ainsi, juste après avoir abondé, par une coïncidence significative, dans le sens de Benjamin Netanyahu, Caroline Fourest en vient au cœur du sujet : la « révélation », dévoilée par l’auteur de ces lignes, du propos de l’ambassadeur Charles Rivkin au sujet d’Oumma, qualifié de « site remarquable ». Pour la chroniqueuse, ce rapprochement entre les « islamistes fougueux » que nous serions, selon elle, et « le pire des Etats-Unis » (sic) préfigure une sorte de stratégie bilatérale, évidemment sournoise, dont la finalité est la remise en cause du « modèle laïc français », stade ultime du génie humain, si l’on comprend bien la propagandiste radiophonique. L’ambassadeur américain appréciera sans nul doute ce commentaire aussi bien modéré qu’étayé, de même que le personnel diplomatique, « visiblement comblé de lire [nos] billets en faveur du voile ou du créationnisme », croit-elle bon de spéculer. Outre ces grossiers raccourcis, parmi tant d’autres, notre crime, à Oumma, consisterait également, tenez-vous bien, à oser publier des entretiens avec diverses personnalités remettant en cause la version officielle du 11-Septembre. Le sacrilège ultime pour celle qui fut longtemps la caution gauchisante du concept, développé par ces « atlantistes néoconservateurs » qu’elle dédouane ici rapidement, du « choc des civilisations ».

Par le trouble amusé qu’elle exprime en découvrant notre entente cordiale avec la représentation diplomatique des Etats-Unis, Caroline Fourest confirme nos attentes à son sujet : en effet, ce qu’elle omet de préciser aux auditeurs de France Culture, c’est la nature rancunière de sa chronique puisque nous avions fait ironiquement allusion, précisément au début de l’article consacré au mémorandum révélé par Wikileaks et mis en ligne vendredi dernier, à l’adversité permanente affichée par l’essayiste à notre encontre. D’autant que son mécontentement à l’égard de cette information, relayée par Arrêt sur images,  rejoint celui manifesté par l’extrême droite classique, certains communautaristes juifs et des sites identitaires musulmans. Au passage, cher internaute, sachez que vous êtes vous-même religieusement qualifié, non pas de lecteur ou d’abonné, mais de « fidèle » par l’experte universellement reconnue de l’obscurantisme mahométan.

Multirécidiviste

A l’image de sa passion singulière pour Tariq Ramadan sur lequel elle a consacré un essai à charge intitulé « Frère Tariq », la relation entretenue avec Oumma fut toujours palpitante : en 2006, Caroline Fourest avait perdu un procès intenté contre notre site car nous avions relayé un article du journaliste du Monde, Xavier Ternisien, qui l’avait accusé de pratiquer la désinformation à son sujet et de puiser ses sources dans des sites d’extrême droite. En guerre permanente contre « l’islamogauchisme », elle attaque régulièrement quiconque ne partage pas sa vision réductrice de la laïcité. Comme l’a dénoncé le facétieux Mouvement pour le Rassemblement des Amis de Sœur Caroline, à ses yeux, « un islamiste est un musulman qui n’est pas d’accord avec Caroline Fourest ; ou encore : un «  anti-laïque » est un laïque qui récuse sa conception théologique et intégriste de la laïcité et qui s’inquiète de l’exclusion des élèves voilées ».

En mars 2006, à l’occasion de la polémique autour des caricatures du prophète Mohammed, elle signa un manifeste sobrement dénommé « Ensemble contre le totalitarisme islamique » aux côtés de Bernard-Henri Lévy. Un partenariat durable : la semaine dernière, le philosophe botuliste a convié la militante à la célébration huppée des vingt ans de sa revue confidentielle, « la Règle du jeu ». Caroline Fourest, qui se vante de combattre la coalition des pays musulmans au sein de l’ONU, est aussi une proche de Philippe Val avec lequel elle a collaboré durant la mutation idéologique de Charlie Hebdo.

A son propos, elle s’enflammait sur son blog à la date du 3 janvier 2007 : « Il tutoie Spinoza, vit le 11-Septembre comme le conflit entre Spartes [sic] et Athènes, pense tous les jours à l’affaire Dreyfus. Les vrais éditorialistes sont comme ça. Ils doivent éclairer sans cesse ceux que le feu de l’actualité immédiate aveugle ». Olivier Cyran, autre rescapé de Charlie Hebdo et opposant notoire de Val, est plus irrévérencieux à propos de ses anciens camarades, à l’image de l’esprit qui anima le Charlie historique : « Le droit à la caricature est une liberté fondamentale et Charlie a bien raison de la défendre bec et ongles. Plus discutable est la posture qui consiste à se faire mousser en rempart contre le péril sarrasin. Depuis le 11-Septembre, l’hebdomadaire ne cesse de rhabiller le vieux tropisme anti-arabe aux couleurs plus tendance de l’islamophobie. Ses deux spécialistes en capillo-détection, Fiammetta Vener et Caroline Fourest, martèlent semaine après semaine que les barbus sont partout, chez les banlieusards, les altermondialistes, les pacifistes… Un jour, elles ont même cru dénicher un poil à barbe islamique dans la tonsure de la Ligue des droits de l’Homme ».

Ils sont partout…les islamistes

Les femmes voilées selon Caroline Fourest ? Des « collabos » de l’ordre sexiste. Et lorsque des associations s’indignent de la stigmatisation croissante qui affecte en France les musulmanes pratiquantes, la militante ultra-laïque et pseudo-féministe dénonce une « gauche tiers-mondiste », coupable de s’acoquiner avec  les Frères musulmans, cette «  matrice infernale dont les tentacules diffusent encore aujourd’hui l’intégrisme aux quatre coins du monde  ». Caroline Fourest n’a pas non plus manqué d’instrumentaliser l’affaire Redeker, du nom de ce philosophe islamophobe qu’elle entendait « soutenir » contre la « fatwa mondiale » lancée contre lui par sa bête noire après Tariq Ramadan, le prédicateur d’Al Jazeera, Youssef Al-Qardawi. En guise de pseudo-fatwa, il s’agissait en réalité d’une simple protestation publique et pondérée à l’endroit du nouveau martyr, adoubé par BHL, de la liberté d’expression.

La journaliste avait déjà commis auparavant « Tirs croisés », ouvrage consacré aux intégrismes et largement critiqué, notamment par Alain Gresh du Monde Diplomatique, en raison de sa légèreté et de son parti pris : dans ce pensum, le fondamentalisme islamique est présenté explicitement comme le plus redoutable danger issu des trois monothéismes. A l’inverse, quand il s’agit de distinguer le racisme arabophobe et antimusulman de l’incantation générale à la liberté d’expression, Caroline Fourest perd de sa virulence coutumière : Kurt Westergaard, le caricaturiste défendu pour avoir représenté le prophète de l’islam avec une bombe dans son turban, était décrit en 2006 dans Charlie Hebdo comme « plutôt anarchiste, libertaire, amoureux des libertés et donc un peu enragé à l’égard des religions  » : deux ans plus tard, il était l’invité d’honneur du congrès du Parti du peuple danois, mouvement proche de l’extrême droite. Pour l’essayiste, la menace primordiale dans le monde n’est pas la cupidité financière, le pillage des ressources naturelles ou le néocolonialisme économique mais bel et bien l’intégrisme musulman. Elle prétendait de la sorte dans Libération que « nous sommes passés d’une affaire Rushdie tous les dix ans à une affaire Rushdie tous les ans, voire maintenant quasiment tous les mois ». Que survienne une nouvelle et véritable affaire Rushdie, made in France, et les prophéties apocalyptiques de Caroline « Cassandre » Fourest seront enfin réalisées. Pour sa plus grande satisfaction.

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Sœur Caroline, priez pour nous

Contrairement à sa colistière, Fiammetta Vener, avec qui des rapports cordiaux furent initialement entretenus, Caroline Fourest nous a rapidement affiché son dédain, qualifiant notre portail internet de « site ouvertement pro-Ramadan ». Et peu importe à celle qui se targue d’être une universitaire rigoureuse de manquer ici de nuance, occultant au passage nos articles critiques ou simplement neutres au sujet de l’islamologue suisse. L’amalgame et l’approximation sont des techniques que lui ont souvent reprochés bon nombre de personnalités publiques : Tariq Ramadan bien sûr, mais aussi Pierre Tévanian, Xavier Ternisien, les sociologues Vincent Geisser et Raphaël Liogier ou le magistrat Philippe Bilger. Dans une tribune collective, publiée en 2006 dans Le Monde et signée, notamment, par l’anthropologue Bruno Etienne, la critique à son encontre est impitoyable : son « tour de passe-passe essayiste consiste à disqualifier comme “islamiste”, c’est-à-dire comme un danger social, tout musulman refusant de se démarquer explicitement de son appartenance religieuse. [Elle] considère comme complices tous ceux qui refusent le simplisme de ces qualifications. La vieille rhétorique conspirationniste des élites intellectuelles contre la France est remise au goût du jour. Et, sous les habits du “progressisme”, elle s’abreuve ainsi au mythe de l’anti-France ».

Les anciens idéologues du « mythe de l’anti-France » seraient aujourd’hui ravis en écoutant sa chronique de France Culture : la dénonciation d’une ingérence islamo-américaine à l’encontre de cette « vache sacrée nationale » que serait la laïcité à la française constitue une opération marketing doublement efficace. En surfant à la fois sur une vieux fonds d’anti-américanisme et la nouvelle islamophobie post-2001, Caroline Fourest peut continuer à espérer une rente éditoriale confortable. Radio France, Le Monde, France 2, des interventions régulières au moindre fait divers mettant en scène un quelconque épiphénomène intégriste survenu ici ou là, bref : la journaliste tout-terrain occupe de plus en plus la surface médiatique.

Si sa charge répétée contre Oumma n’est guère étonnante, sa nouvelle caricature des Etats-Unis est plus cocasse : en 2005, elle lançait au contraire une opération séduction à destination du lectorat américain, notamment celui de sensibilité conservatrice et ultra-libérale. Dans un article subtilement intitulé « Guerre pour l’Eurabie » et publié par le Wall Street Journal, elle dramatisait à outrance la menace que feraient peser les islamistes sur le Vieux Continent : « En Europe, ils tirent avantage de la liberté d’expression et de la démocratie tout comme de l’échec des Arabes à s’intégrer. Ici, ils recrutent comme bon leur semble. […]L’Occident est utilisé comme un formidable camp de base pour recruter de nouvelles troupes. Avec elles, les islamistes espèrent prendre leur revanche en Orient ». Aucune allusion, dans ce texte, au problème des discriminations qui expliquerait ce mystérieux « échec des Arabes à s’intégrer ».

Quelques mois plus tard, rebelote : à l’occasion des révoltes urbaines, elle reprenait à son compte une théorie du complot, en vogue à l’époque, suggérant, dans un nouvel article intitulé « Le champ de bataille des islamistes », que les « fondamentalistes allaient essayer de profiter du chaos ». Lors d’un tchat avec les lecteurs du Nouvel Obs, la journaliste, interpellée sur le titre nauséabond du premier papier, plaida non-coupable, allant jusqu’à prétendre qu’elle avait rédigé le second article pour casser les préjugés des Américains sur la pseudo-motivation religieuse des émeutiers. Pourtant, dans ce texte sensationnaliste, elle dédouane à peine les jeunes révoltés de toute velléité de djihadisme tout en suggérant explicitement qu’ils seront bientôt récupérés par d’obscurs intégristes tapis dans l’ombre. Récemment encore, le 12 novembre dernier, elle relativisait, dans l’émission « Semaine critique » animée par Franz-Olivier Giesbert et diffusée sur France 2, les crimes de guerre commis par l’Administration Bush en tentant un parallèle maladroit et grotesque avec le danger hypothétique imputé au président iranien.

Caroline Fourest, réputée pour avoir asséné le mantra du « double discours » de Tariq Ramadan, sait elle-même pratiquer cet art majeur de la rhétorique : alors qu’elle dénonçait en 2005 l’islamisation supposée des cités auprès du public américain, elle fustigeait la même année, dans le Charlie Hebdo paru le 7 septembre, ces « faucons américains » qui « jouent avec Frères musulmans » comme « du temps de la guerre contre le communisme ». A bien des égards, cinq ans plus tard, il suffit de remplacer les « Frères musulmans » par Oumma, les « faucons » par « l’ambassade de Paris » et le « communisme » par le « modèle laïc français » pour redonner vie à une phobie visiblement tenace.

Permis de blasphémer

Feu Bruno Etienne, dont j’étais un élève, avait vu juste. C’est précisément le mythe de l’anti-France qui est réactivé aujourd’hui, au travers d’un nouveau cheval de Troie : le discours prétendument « progressiste, laïc et universaliste » porté par Caroline Fourest et ses frères d’armes. Dénoncer une fantasmagorique alliance, présentée comme nocive, entre «  Oumma l’islamiste » et « l’ambassade droitière » des Etats-Unis est une chose. Mais déplorer, par exemple et comme elle le fit dans Le Monde l’été dernier, que la Marseillaise ne soit pas entonnée par les footballeurs reflète autre chose, de plus intéressant et récurrent chez l’intéressée : sa propension au deux poids deux mesures. Ainsi, si l’on en croit Caroline Fourest, défendre des caricatures racistes et anti-musulmanes, sous prétexte de liberté d’expression, est un combat légitime ; mais critiquer, avec la même ardeur, tous les intégrismes -y compris politico-religieux tel l’exemple tabou de l’ultra-sionisme- ou dédaigner de fredonner l’hymne national, c’est inapproprié. Tout comme la fixation de ses limites, le droit au « blasphème », dans la France de 2010, est bel et bien la chasse gardée des aspirants maitres à penser.

*** Bonus / Pour aller plus loin, à voir ou revoir : une édifiante prestation audiovisuelle de Caroline Fourest, invitée dans l’émission de Laurent Ruquier sur France 2, le 24 avril dernier, et confrontée au chroniqueur Eric Naulleau.

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