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Dans quel pays vivons-nous ?

Samedi soir, invité d’un journal télévisé, Philippe de Villiers a brandi l’honneur national, la main sur le pommeau de l’épée, semblant prêt à en découdre… Il faut, a-t-il dit, que nous, Français, arrêtions de courber la tête face aux musulmans ! Ceux-ci ont le choix : «  c’est ou la chariah, ou la République : arrêtons d’être lâches ! » ; il est indispensable d’établir «  une charte draconienne pour la construction des mosquées » ; de plus, « faire financer les mosquées par les contribuables est une folie ! »….

Curieusement, cette interview n’est pas disponible sur le site de la chaîne de télévision en question. L’extravagance de ces propos les aurait-elle fait censurer ? C’est bien dommage : ils mériteraient au contraire d’être plus largement diffusés, pour que personne n’ignore ce qui nous attendrait si M. de Villiers prenait le pouvoir.

A bien y réfléchir, je me demande si Philippe de Villiers vit bien en France… Car si nous regardons les choses en face, si nous observons le quotidien de la vie de milliers d’associations musulmanes sur l’ensemble du territoire national, rien, dans leur vie au quotidien ne ressemble au tableau qu’en dresse le député de Vendée ;

Reprenons pus en détail certaines de ces affirmations. « La chariah ou la République ». Qu’est-ce que cela signifie ? Rien ! M. de Villiers confond tout simplement d’une part le droit positif, en vigueur dans notre pays, avec ses dispositions d’ordre public, comme la monogamie, et celles qui ne le sont pas, d’autre part ce que l’on appelle le droit interne des religions, dons les effets sont circonscrits, pour l’essentiel, à l’activité intérieure de la religion concernée. Peuvent donc s’exercer, en France – certes de façon restreinte – le droit rabbinique, le droit canonique, le droit ecclésial protestant – et la chariah, au même titre que les autres. Quelques exemples : un couple catholique peut être divorcé civilement, c’est-à-dire aux yeux du droit français, aux yeux de l’Eglise catholique, s’il s’est marié à l’église, il sera toujours considéré comme marié, sauf à faire annuler son mariage religieux (et uniquement celui-ci) par le tribunal ecclésiastique dans le ressort duquel il vit ; de la même manière, bien que la contraception soit légale en France, un couple catholique – non divorcé celui-ci… – pourra ne pas l’utiliser, l’Eglise la condamnant. Enfin, la France est découpée, toujours en droit canonique, en circonscriptions territoriales particulières : les évêchés, qui ne correspondent pas aux découpages administratifs et politiques de l’Etat.

Le droit interne des religions peut également avoir des effets à l’extérieur de la religion considérée : les autorités civiles n’ont ainsi pas de compétence pour décider, en cas de conflit, qui de tel ou tel desservant doit avoir la jouissance d’un lieu de culte. Elles doivent s’en remettre à l’autorité religieuse compétente qui est seule apte à pouvoir désigner qui est le desservant légitime du lieu : plusieurs cas ont été jugés par les tribunaux à propos de prêtres catholiques du courant dit « intégriste » qui, n’étant pas reconnus par l’Eglise catholique « officielle » ont du quitter les lieux.

Dans les autres religions, nous pourrions prendre comme exemple les prescriptions alimentaires – la question de l’abattage rituel ne concerne pas que les pratiquants mais aussi les autorités publiques en charge des règles de santé et d’hygiène publique…

Présenter les choses comme le fait Philippe de Villiers : « la République ou la chariah » est donc caricatural, d’une grossière simplicité et ne permet que de s’interroger sur les motivations qui conduisent à cette présentation.

Il faut établir «  une charte draconienne pour la construction des mosquées » a-t-il ajouté. L’idée d’une charte n’est pas mauvaise en soi, et si elle doit être draconienne, il faut qu’elle le soit pour tout le monde, y compris à l’égard des autorités chargées de délivrer les autorisations de construire.

Car si construire est un droit en France, il semble, lorsque nous regardons comment les choses se passent au quotidien, que ce droit ne soit plus ni général ni absolu… comme l’est en principe une règle de droit. Grâce aux associations qui me les ont communiqués – et que je remercie ici – je dispose d’une étonnante quantité de dossiers tristement semblables et qui couvrent plusieurs régions, du Nord au Sud du pays. Que se passe-t-il lorsqu’une association, souvent implantée depuis plusieurs années dans une ville, veut construire une mosquée ou acheter un terrain pour ce faire ?

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La première réaction des autorités est bien souvent de dire : « Nous ne vous connaissons pas ! », propos particulièrement encourageants pour des responsables associatifs présents sur le terrain depuis des années…. Ils devront faire face ensuite à l’exercice du droit de préemption (de façon illégale) par la commune de l’immeuble qu’ils envisagent d’acheter, qui lui permet de se substituer à l’acquéreur, à un refus de permis de construire ensuite, à des menaces diverses enfin, s’ils réussissent à passer tous ces obstacles : menaces de procès parce qu’ils installent un panneau lumineux sur leur façade, menaces de fermeture des locaux sous des prétextes divers, etc…

Alors, plutôt que d’élaborer une charte, je souhaiterais pour ma part que l’on fasse une chose très simple : que l’on applique simplement le droit existant aux musulmans. Ni plus, ni moins. Rien que le droit, mais tout le droit. Ce droit si souvent violé, détourné, bafoué, y compris, ici ou là, avec l’étonnante complicité d’autorités musulmanes dont on ne peut pas dire qu’elles défendent mal leurs fidèles : elles ne les défendent pas du tout.

« Faire financer les mosquées par les contribuables est une folie » a déclaré également M. de Villiers en s’en prenant au ministre de l’Intérieur. Décidément, Philippe de Villiers a des problèmes avec le principe d’égalité… Un peu d’histoire : lorsqu’en 1905 a été votée la loi de séparation des Eglises et de l’Etat, les Eglises ont eu un délai pour se mettre en conformité avec les nouvelles dispositions législatives ; à défaut de quoi, la propriété des églises était transférée aux communes, la propriété des cathédrales à l’Etat.

Et c’est ce qui s’est effectivement passé… et qui explique que l’immense majorité des églises en France appartiennent aux communes, qui ont l’obligation de les entretenir, comme l’ensemble de leurs immeubles. Cet entretien est donc fait non pas grâce aux seuls dons des fidèles mais grâce aux impôts des contribuables qui, quelle que soit leur confession, payent pour l’entretien – il faut bien le dire assez souvent médiocre – des églises.

En application du principe d’égalité, rien ne s’oppose donc au financement de mosquées par les pouvoirs publics – même si la loi de séparation des Eglises et de l’Etat complique un peu les choses. C’est donc bien Nicolas Sarkozy qui a raison ici contre Philippe de Villiers.

Ces propos ne mériteraient pas en principe d’autre attention que celle que l’on réserve à ceux que tient, dans une classe, un élève à la fois inculte et provocateur. Philippe de Villiers pourrait effectivement exceller dans ce rôle du redoublant de la classe de seconde. Cependant, lorsqu’un homme politique s’exprime sur l’islam, à une heure de grande écoute, qu’il tient des propos aussi invraisemblables, aux accents de croisade, aussi contraires à la pratique que les chercheurs observent sur le terrain depuis des années, il ne fait que préparer les esprits à des passages à l’acte xénophobes ultérieurs, en toute irresponsabilité. Je divague ? A force de crier « sale juif » pendant des années, de critiquer « l’arrogance » des juifs (comme on le fait aujourd’hui pour les musulmans), nous avons eu un Troisième Reich ici, un régime de Vichy là, et quelques autres avatars ailleurs… Bien entendu, personne ne veut cela AVANT ; mais on risque d’avoir cela APRES. Alors oui, comme le dit Philippe de Villiers : « arrêtons d’être lâches ! », arrêtons de nous en prendre encore et toujours aux plus faibles, à ceux qui sont victimes au quotidien de discriminations, qui sont victime de l’insidieuse idéologie qui s’installe. Ayons le courage de savoir dire non à ces propos délétères.

« Quelle solution proposez-vous ? » me dira-t-on. Je n’en vois guère qu’une : les victimes désignées par les propos xénophobes d’où qu’ils viennent ont toute l’année pour s’inscrire massivement sur les listes électorales. Pour voter en 2007. Et sanctionner les auteurs de propos xénophobes. Massivement.

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