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David Trimble, ami, juge et partie d’Israël

Mascarade. David Trimble, l’observateur étranger désigné lundi par Tel Aviv pour enquêter sur le crime israélien de neuf citoyens turcs, est en réalité un fervent partisan de l’État d’Israël. Enquête et révélations sur une personnalité sous influence.

Tel Aviv assiégé par l’opprobre du monde. Pour affronter la critique internationale, c’est à l’unanimité que le gouvernement israélien a approuvé avant-hier la nomination des membres de la commission d’enquête chargée d’examiner le déroulement de l’assaut meurtrier, commis par l’armée, contre un convoi humanitaire à destination de Gaza. But officiel de l’opération : élucider les circonstances du raid militaire afin de démontrer sa conformité au regard du droit international. Le Premier ministre, Benjamin Netanyahu, se dit d’ores et déjà « convaincu que l’enquête prouvera qu’Israël a agi en respectant la loi ». Et peu importe le scepticisme affiché par la Turquie, État plaintif dans l’affaire, quant à la crédibilité de la commission nationale : l’ouverture d’une enquête était surtout destinée, selon le chef du gouvernement, à apporter une « réponse convaincante aux États responsables de la communauté internationale ». Aux yeux du Premier ministre , les nombreux détracteurs, à travers la planète, de ce simulacre d’investigation n‘ont aucune importance. Le secrétaire général de l’ONU aura beau se déclarer favorable à une véritable commission d’enquête, internationale et indépendante, Tel Aviv continuera de faire la sourde oreille. D’autant que Washington, Londres et Paris viennent de saluer ce qui est présenté comme une avancée, faisant fi de l’avis du Conseil de Sécurité qui avait pourtant formulé le même vœu que Ban Ki-Moon.

Outre le caractère national du comité chargé de l’enquête, d’autres aberrations ne manquent pas : ainsi, à l’exception du chef d’état-major, les militaires ayant directement participé à l’attaque ne pourront pas être interrogés et le rapport final devra être transmis au gouvernement avant sa publication. Qui sont les membres de cette commission déjà discréditée en raison de sa dépendance à l’égard du gouvernement ? Cinq hommes triés sur le volet : le président, Jacob Terkel, ancien juge à la Cour Suprême et sympathisant de la droite dure israélienne ; Shabtaï Rosen, professeur émérite de droit international qui a participé à l’organisation constitutionnelle de l’État d’Israël ; le général Amos Horev, figure héroïque de l’armée ; et deux observateurs étrangers, aux compétences réduites :le Canadien Ken Watkin, juriste militaire, et le Britannique David Trimble, prix Nobel de la Paix pour son action dans le règlement du conflit en Irlande du Nord.

Au casting de Tony Blair

La participation de ce membre, présenté par les autorités israéliennes comme impartial et indépendant, reflète à elle seule la farce que constitue cette commission d’enquête.

David Trimble, 65 ans, est d’abord une figure irlandaise historique, et controversée,au sein du Royaume-Uni. Ancien militant extrémiste de la mouvance protestante unioniste, alors violemment hostile aux catholiques indépendantistes de l’IRA, l’homme s’est peu à peu assagi avec le temps, au point d’avoir convaincu le parti qu’il dirigeait, l’UUP, à conclure un accord de paix avec la partie adverse, sous la houlette de l’ancien sénateur américain George Mitchell.

C’est cette victoire qui contribua à lui faire remettre, conjointement avec son co-signataire John Hume, le prix Nobel en 1998. Huit ans plus tard, il deviendra pair du Royaume-Uni, avec le titre de baron, avant de rejoindre par la suite le Parti conservateur. Un ralliement qui n’a pas porté ses fruits puisque David Trimble n’a décroché, contre toute attente, aucun poste ministériel à la suite de la victoire, aux dernières élections législatives, de David Cameron. Une déception qui n’aura duré que quelques semaines jusqu’à sa désignation officielle, ce lundi, par le gouvernement israélien, pour rejoindre la commission. La nomination du conservateur serait, selon le quotidien britannique The Guardian, la conséquence d’un lobbying exercé par Tony Blair, l’émissaire du Quartette (Europe, Usa, Russie, ONU) pour le Proche-Orient. L’ancien Premier ministre aurait soufflé son nom à Benjamin Netanyahu.

Une recommandation qui n’a pas dû être difficile à suivre : David Trimble est un ami de longue date de l’État d’Israël. Son dernier geste d’affection remonte au 31 mai : le jour même du crime de neuf Turcs par l’armée israélienne, le futur enquêteur-observateur était à Paris pour inaugurer l’association « L’initiative des amis d’Israël », organisation dont le but est de lutter contre la « délégitimation de l’État d’Israël  ». Critère pour faire partie de ce club qui se targue d’être composé de non-Juifs tel l‘ancien Premier ministre espagnol José Maria Aznar : « être convaincu qu’ Israël fait partie intégrante de l’Occident et de son avenir » et s’inquiéter de « l’islamisme radical et d’un Iran nucléaire qui constituent des menaces affectant le monde entier ».

Envers la stratégie de diabolisation de Téhéran, David Trimble est un précurseur : le 25 janvier 2007, il dirigea une conférence, qui s’est tenue au sein du Parlement britannique, pour faire prendre conscience aux députés des dangers imputés au régime de Mahmoud Ahmadinejad. L’organisateur de cette opération de propagande est précisément le même homme qui a structuré la récente association née à Paris : Dore Gold, ancien ambassadeur israélien aux Nations Unies et ami intime de Benjamin Netanyahu. Ce dernier faisait d’ailleurs partie des conférenciers invités à s’exprimer sous l’œil bienveillant de David Trimble.

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Et au-delà de la sempiternelle condamnation de l’Iran exercée systématiquement par la droite israélienne et ses relais à travers le monde, David Trimble sait aussi faire preuve d’un zèle remarquable, en louant par exemple le style politique d’Ariel Sharon , en fustigeant sans nuance le Hamas ou en faisant annuler la présence à un débat de Norman Finkelstein, célèbre intellectuel américain vigoureusement opposé à l’instrumentalisation israélienne de la Shoah.

Happy Birthday, Shimon

Faveur exceptionnelle, l’Irlandais faisait aussi partie de ces personnalités invitées en 2003 à célébrer l’anniversaire de l’homme d’État israélien par excellence, Shimon Peres, qui fêta alors ses 80 ans. Un hommage entre « happy few », rendu, précisa-t-on sur place, aussi bien au personnage-clé de la vie politique nationale qu’à l’État d’Israël. Outre le prix Nobel de la paix qu’ils partagent tous les deux, l’explication d’une connivence culturelle particulière explique une telle invitation : dans les années 70, il était coutumier pour les protestants irlandais les plus radicaux de s’identifier aux Israéliens en raison du soutien pro-palestinien affiché par les catholiques, et notamment par les militants de l’IRA. Le clivage était net : d’un côté, les indépendantistes, favorables au combat palestinien ; de l’autre, les unionistes, tel David Trimble, loyaux envers la Couronne et sympathisants déclarés de la cause sioniste. Aujourd’hui encore, les citoyens irlandais, dans leur vaste majorité, se sentent concernés par ce qui se joue à des milliers de kilomètres de chez eux, même s’il sont plutôt enclins à soutenir les Palestiniens. Cette solidarité de part et d‘autre des deux camps, qui fait fi de la distance géographique, se reflétait dans les rues irlandaises, où il n’était pas anodin d’apercevoir des peintures à la gloire de l’OLP ou, à l’inverse, le drapeau israélien flotter, dans les quartiers protestants, aux côtés des emblèmes du Royaume-Uni et des unionistes.

C’est précisément ce genre d’image insolite qui fit la couverture de « Misunderstanding Ulster », ouvrage rédigé par David Trimble, paru en 2007 et édité par le groupe « Conservative friends of  Israël ». L’essai tente d’exposer les leçons tirées du conflit irlandais, susceptibles d’être appliquées à d’autres régions du monde. David Trimble y apporte son expertise indéniable en matière de crise internationale sans cacher son adhésion au neoconservatisme. Cette idéologie transatlantique, dont le but toujours d’actualité est d’assurer la domination anglo-saxonne sur les affaires du monde, a déjà causé des ravages, notamment de par l’invasion de l’Irak. Une barbarie sereinement cautionnée à l’époque par le prix Nobel de la paix qui ne voulait surtout pas afficher une quelconque opposition au lancement de la guerre. Le groupe de réflexion auquel il appartient , dénommé le « Henry Jackson Society », s’est notamment illustré par sa défense d’Israël lors de son bombardement du Liban en 2006 ainsi que par sa mise en garde contre l’existence d’une redoutable coalition entre le Hamas et l’Iran. Sorte de think tank neoconservateur à la sauce british, le HJS a également tenu à commenter, sur son blog, l’attaque de la flotille : pour l’éditorialiste du cénacle, Israël a simplement été pris dans le piège, « soigneusement préparé », d’une « manœuvre politique visant à lui causer une humiliation sans précédent ». Dans la grande tradition de leurs homologues américains -dont certains ont d’ailleurs rejoint le HJS-, les neoconservateurs britanniques se plaisent à considérer l’Etat hébreu comme un avant-poste, vaillamment situé en terre hostile, de l’Occident. David Trimble est un des leurs.

Bloody Sunday, bloody Monday

Mezzo voce, son passé extrémiste continue de l’habiter. Outre le deux poids deux mesures qu’il applique sur la question israélo-palestinienne, le discréditant aux yeux de ses anciens adversaires de l‘IRA pour faire partie de toute commission d’enquête, l’homme ne semble pas encore prêt à affronter les fantômes de l’impérialisme local. Ainsi, David Trimble avait conseillé à l’ancien Premier ministre Tony Blair de faire en sorte que la nouvelle enquête, pour laquelle il était défavorable, sur la mort, causée par l’armée britannique, de quatorze Irlandais catholiques en 1972 ne puisse aboutir à la reconnaissance d’un homicide volontaire. Après douze ans d’investigation, les conclusions rendues publiques hier confirment pourtant bel et bien l’intention criminelle des paramilitaires britanniques qui avaient ouvert le feu sur des manifestants désarmés. Le Premier ministre David Cameron n’a pas manqué cette opportunité historique afin de présenter les excuses du gouvernement britannique pour cette tuerie « injustifiable ». Un désaveu cinglant pour David Trimble, l’homme qui préconisa de conserver la version officielle de la légitime défense. Comble du ridicule, c’est précisément cet individu, un ultra-sioniste prônant la dissimulation et le statu quo mensonger envers le drame du Bloody Sunday, qui s’est vu chargé d’observer impartialement l’enquête sur le meurtre israélien, commis le lundi 31 mai, de nuit et en haute mer, de neuf civils turcs, dont cinq ont été exécutés d’une balle dans la tête.

A la forfaiture s’ajoute désormais la farce d’une commission d’enquête que plus personne ne prend au sérieux. L’Irlandaise Mairead Maguire, également prix Nobel de la Paix, était présente sur le navire Rachel Corrie, autre convoi humanitaire à destination de Gaza et arraisonné, sans le sang versé précédemment, par Israël. Le conseil qu’elle prodigue à son compatriote dont la nomination la « préoccupe »  : décliner, par souci de dignité, la proposition de Tel Aviv de rejoindre la commission. Il va sans dire qu’au vu de ses allégeances politiques, de ses sympathies culturelles et de son sens précautionneux de l’État, David Trimble est d’ores et déjà une excellente prise pour le gouvernement Netanyahu : totalement acquis à la cause de la droite israélienne, docile et inoffensif , l’observateur sans droit de vote ne fera pas de vagues. Pantin consentant au sein d’une commission d‘opérette, il est l’homme de la situation. Et en attendant les conclusions de l’enquête, dont l’insoutenable suspense est patent, le combat cher au cœur de l’Irlandais -« lutter contre ceux qui veulent délégitimer Israël »- continuera, porté par d‘autres volontaires de la scène internationale. Sous d’autres cieux , sous d’autres masques.

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