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Éduquer ou civiliser la banlieue ?

Comme une grande claque, cet essai étonne et détonne. Petit livre gris, sur la couverture le titre éclate, comme chaque phrase de l’auteur. Il adresse au président de la République bien plus qu’une lettre ouverte. Nasser Demiati confronte, pour le bonheur du lecteur, sa connaissance de la banlieue avec des savoirs académiques, raillant les représentations que l’on peut se faire du peuple de ces territoires abandonnés à la stigmatisation. Supplique féroce, ce texte n’épargne rien à son destinataire et à ses projets. Plaidoyer humaniste, il remet en perspective les enjeux fondamentaux que sont l’éducation et la justice sociale dénonçant le dévoiement de ces valeurs dans les politiques actuelles.

Jean Ferreux

Directeur des éditions Téraèdre

AVANT QU’IL NE SOIT TROP TARD…

Préface de Raphaël Confiant (écrivain, Martinique)

Il s’agit d’une très vieille tradition, qui n’est propre ni à la France ni même à l’Europe : celle de l’adresse au maître, au chef, au roi ou, de nos jours, au président. Adresse qui prend, ici et là, des formes diverses, se faisant tantôt supplique haranguée en place publique, tantôt lettre ouverte publiée dans la presse ou encore opuscule fiévreux qui doit se lire d’une traite.

Nasser Demiati, banlieusard mais/et diplômé, a choisi cette dernière forme pour dire à Nicolas Sarkozy son fait quant à la question de l’éducation populaire. Pour le président français, en effet, le « mal des banlieues », comme le disent pudiquement les magazines germanopratins, proviendrait tout à la fois de l’absence d’encadrement parental et de l’échec de l’école républicaine.

Les jeunes voyous, dans leur grande majorité africaine et maghrébine, la racaille pour employer un mot devenu célèbre, font le commerce de la drogue, agressent les honnêtes gens, brûlent des voitures le samedi soir (ou des bibliothèques et des écoles lors des émeutes) parce que l’autorité de l’Etat aurait déserté les « quartiers sensibles », autre euphémisme qu’affectionnent les éditorialistes bien pensants. Il s’agit donc d’abord d’y rétablir la loi et l’ordre (en renforçant la présence policière), puis, à travers l’institution scolaire, d’arracher les élèves à l’obscurantisme parental (fortement teinté d’islam) dans lequel ils baignent.

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On comprend que Nasser Demiati ait fait de l’insolence une sorte de devoir. Mais il s’agit d’une insolence cultivée, brillante même, qui dénote une solide connaissance de l’histoire de France tout autant qu’une aptitude remarquable à utiliser les théories sociologiques les plus modernes au service de sa démonstration. Mêlant ainsi l’analyse la plus rigoureuse à l’anecdote personnelle, il nous conduit au galop, mais sans raccourcis réducteurs, au cœur même du problème : la mythique école républicaine de papa est morte et bien morte.

Elle s’est fracassée contre cette résistance têtue, tantôt muette tantôt braillarde, que lui ont opposée, depuis les années soixante, ceux qui aiment, pour certains, à s’appeler « les Indigènes de la République ». Fils et filles de ceux qui furent charriés dans l’Hexagone afin d’aider à la reconstruction de la France d’après-guerre, ils ont fini par constituer, au fil du temps, ce que l’on pourrait appeler le nouveau peuple français. Ils ont petit à petit pris la place des « classes dangereuses » d’antan, à la différence que ces dernières étaient presqu’uniformément gauloises et que, complicité linguistique et culturelle obligent, elles pouvaient espérer que leurs rejetons bénéficient de l’ascenseur républicain. Or, aujourd’hui, cet ascenseur est en panne. Pire : il n’y a plus d’ascenseur du tout. Une large fraction du nouveau peuple est basané ou noir. Une large fraction du nouveau peuple est musulman.

Ce nouveau peuple a tourné le dos à la « France, mère des Arts et des Lois », à la « Doulce France », à Marianne (fut-elle hâtivement bronzée pour la circonstance). Le nouveau peuple se permet même d’inventer une langue inédite, mâtinée d’argot, de verlan, d’arabe, de berbère, de bambara et de créole. Bref, la France est en train de vivre une métamorphose civilisationnelle majeure et les « Français de souche », du moins « ceux d’en-haut », ne s’en sont toujours pas rendu compte. Nicolas Sarkozy s’entête à parler des « racines chrétiennes de l’Europe » tout en prônant, pour les banlieues, pour les seules banlieues, une laïcité de fer.

Ne reste donc dans son esprit que l’école républicaine pour tenter de faire de l’Indigène des banlieues un Gaulois. Méprise absolue ! Le banlieusard est le Gaulois d’aujourd’hui. Le nouveau peuple français. C’est dire qu’il n’a aucunement besoin d’être « intégré ». Que pour lui le mot même d’ « intégration » est une insulte. Que le Haut Conseil à l’Intégration, dans lequel siègent d’ailleurs quelques intellectuels antillais ainsi qu’un ex-footballeur qui se prend pour un intellectuel parce qu’il porte des lunettes, tous thuriféraires stipendiés d’une politique abjecte et aveugle, est une institution absurde.

Ce n’est pas le peuple des banlieues qui a besoin d’être « civilisé », mais au contraire ceux qui s’emploient à le ghettoïser. Ceux qui, au moindre incident, lui envoient la police, la BAC, les CRS et, demain, pourquoi pas, l’armée. Sauf que cette armée, devenue professionnelle, accueille de plus en plus de jeunes…banlieusards. Qu’elle est, lentement et sûrement, en passe de devenir à l’image de la nouvelle société française : une masse taillable et corvéable à merci de basanés et une autre masse, de moins en moins nombreuse, de dominants au teint clair. La France n’est plus la France, mon cher monsieur !

En général, les puissants auxquels sont adressées des lettres ouvertes les lisent peu. Par manque de temps, sans doute ; par mépris, très certainement. Or, Nasser Demiati n’est pas quelqu’un qui jette de l’huile sur le feu. Ce n’est ni un révolutionnaire ni un enragé. C’est quelqu’un qui cherche sincèrement à inventer une manière de réconcilier ces deux fractions antagonistes du peuple français. Cela sans manichéisme aucun. Simplement parce qu’il croit qu’une autre manière d’éduquer est possible.

Préface de Raphaël Confiant (écrivain, Martinique), du livre de Nasser Demiati, Éduquer ou civiliser la banlieue ? Lettre ouverte au président de la République, paru aux éditions Téraèdre

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