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Haoues Seniguer : « Cet attentat pourrait produire, sur le court terme, un durcissement sécuritaire de la part des services de l’Etat marocain »

Le terrible attentat de Marrakech est selon les autorités marocaines l’œuvre d’un kamikaze. Peut-on à l’heure actuelle donner quelques pistes sur l’origine de cet acte terroriste ?

Je crois que l’heure est à l’extrême prudence. Si, en toute vraisemblance, il s’agit bien là d’actions criminelles de nature terroriste, ce qui ne semble faire l’ombre d’aucun doute possible, il paraît, en revanche, prématuré de déterminer avec certitude la chaîne causale et partant, les responsabilités. Est-ce l’oeuvre d’un ou de plusieurs kamikazes, en lien ou non avec des réseaux dormants précis, implantés au Maroc et/ou en relation avec l’étranger ?

S’agit-il d’une action isolée ou le résultat d’une bombe qui aurait été déposée dans le restaurant et activée par la suite par un ou plusieurs individus ? Ces actions éminemment meurtrières ne sont pas les premières du genre au Maroc lequel, déjà en mai 2003, à Casablanca, a été secoué par cinq attentats perpétrés simultanément par treize personnes de nationalité marocaine, âgées d’une vingtaine d’années, chômeurs ou précaires, et apparemment liées à des mouvances religieuses de la Salafiyya Jihadiyya et de Al Sirât Al Mustaqim (“le droit chemin”).

Il est avéré, selon nombre d’experts et à l’aune de nombreux éléments concomitants, que le Maroc, objectivement, produit, depuis quelques années, des terroristes puisque, par exemple, en 2004, selon des informations fournies par le Département d’Etat américain, l’armée américaine, en Irak, aurait appréhendé une cinquantaine de Marocains . Rappelons enfin qu’il y a eu également de nouveaux attentats suicides à Casablanca en 2007 ce qui fait dire, de façon fort à propos au demeurant, au journaliste marocain Ali Amar, que le Maroc est “le royaume des kamikazes.”Les faits semblent en grande partie lui donner raison.

J’en profite également pour dire ma surprise, mon étonnement et aussi ma colère de citoyen, de voir des personnes, en France, sur des médias très suivis, se présentant d’ailleurs volontiers comme des experts, affirmer, sans vergogne, quelques heures à peine après ces évènements effroyables, qu’il s’agit d’attentats visant les Occidentaux.

La prudence et la distanciation critique me paraissent être les deux conditions primordiales à l’examen rationnel des faits rompant avec les attitudes émotionnelles et axiologiques qui sont contre-productives. Pourquoi ? Parce que, en l’espèce, il y a des précédents en matière de manipulation et de désinformation consistant notamment pour certains milieux sécuritaires hostiles au changement politique et à la transition démocratique, d’attribuer, sans discernement, aux islamistes radicaux la responsabilité de la violence afin de mieux justifier ensuite le tournant sécuritaire et la répression. En cette période de printemps arabe, il est indispensable d’avoir cela bien présent à l’esprit.

Le mouvement salafiste au Maroc est souvent mis en cause. Que pèse réellement cette mouvance au Maroc ?

Il convient, là aussi, d’être le plus précis possible. Comme tout corps social, il y a, au sein du mouvement salafiste, des interactions et donc la poursuite de stratégies différentes dans l’ensemble des groupes qui forment cette famille d’activistes qui est loin d’être, au Maroc comme partout ailleurs du reste, homogène. Autrement dit, il y a des salafistes qui entretiennent une lecture littérale ou ritualiste du corpus religieux, mais qui sont cependant dans une extériorité par rapport à la chose politique dont ils ne se mêlent pas ; en étant, par ailleurs, non violents.

Il y a, à coté des grands mouvements islamistes classiques (Justice et Bienfaisance et Parti de la Justice et du Développement), des groupuscules violents qui reprochent à la monarchie sa collusion avec la politique américaine (notamment sous l’ère Bush) et l’Etat d’Israël, nourrissant, en outre, le fantasme d’établir un véritable Etat islamique au Maroc appliquant la “Loi” religieuse à tous les niveaux de la société. Ainsi, pour reprendre un peu le propos de ma première réponse, je dirai que, même s’il est difficilement quantifiable, le mouvement salafiste marocain a de nombreux adeptes dont une partie au moins sont des déçus de l’islamisme.

En cas d’élection réellement démocratique au Maroc, les “islamistes” divisés en plusieurs tendances constituent-ils une alternative crédible ?

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Les élections, au Maroc, sont de plus en plus transparentes. C’est un fait établi. Une partie des islamistes a même été autorisée à participer aux consultations électorales depuis 1997. Au point de vue du nombre de voix, le Parti de la Justice et du Développement est même arrivé 1er devant l’Istiqlal. Seulement, “la scissiparité” du champ politique national, avec, par exemple, 33 formations qui ont participé aux législatives de 2007, empêche l’émergence d’un parti majoritaire et donc, l’ébauche d’un gouvernement autonome à même de mener des politiques publiques déconnectées des exigences “transcendantes” de la monarchie.

Ce que l’on peut avancer comme hypothèse, en revanche, est que, si des mesures constitutionnelles étaient prises pour “corriger” l’éparpillement des voix consécutif ou inhérent au scrutin proportionnel lequel paraît de plus en plus inadapté, il ne fait aucun doute possible que les islamistes pourraient constituer une alternative par rapport à des partis gouvernementaux largement discrédités car usés par l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire qui leur échappe pourtant depuis des décennies. Le champ politique marocain est encore aujourd’hui “un théâtre d’ombres”…

Quelles peuvent être les conséquences de cet attentat sur le processus de réformé initié par la monarchie marocaine ?

Il fut un temps où les régimes autoritaires du monde arabe pouvaient allègrement jouer sur la peur instrumentalisée de l’islamisme et du terrorisme pour justifier les tours de vis sécuritaires. Cette époque me semble révolue compte tenu des révoltes arabes qui ont profondément modifié, au sein des populations de la rive Sud de la Méditerranée mais aussi au sein des chancelleries occidentales, la perception de la scène politique.

En d’autres termes, il est assurément possible que cet attentat puisse produire, sur le court terme, un durcissement sécuritaire de la part des services de l’Etat marocain, mais en tout état de cause, celui-ci ne pourrait mettre en cause, sauf à courir le risque de radicaliser des segments de la société et d’exciter la rancoeur des milieux réformistes, la lame de fond sociétale en faveur d’un développement et d’un renforcement des libertés publiques et politiques. Autrefois, les attentats pouvaient justifier les postures sécuritaires, aujourd’hui, ils justifient, plus que tout, l’urgence de réformes constitutionnelles authentiques…

Cet attentat peut-il pénaliser l’économie marocaine qui dépend en partie du secteur touristique ?

Il serait intéressant, pour répondre au plus juste, de revenir peut-être aux pertes éventuellement enregistrées par le secteur touristique marocain aux lendemains des attentats de 2003 et de 2007, chiffres dont je ne dispose pas. Pour ma part, je ne pense pas que ce nouvel attentat aura des répercussions structurelles sur l’économie marocaine, le risque terroriste étant une donnée à présent largement intégrée par les touristes qui se déplacent dans les pays de la région.

Propos recueillis par la rédaction

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