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Les Français selon le ministre Hervé Morin : « C’est difficile d’expliquer à des cons »

Lapsus. Mardi, durant un entretien accordé à Oumma sur Beur FM, le ministre de la Défense, Hervé Morin, a laissé entendre tout haut ce qu’il pensait des Français opposés à l’intervention militaire en Afghanistan.

19 octobre, place du colonel Fabien, Paris. Des hommes en noir surveillent les alentours de l’immeuble qu’occupe la radio Beur FM. Ce soir-là, un invité de marque est présent dans les locaux : Hervé Morin, ministre de la Défense et président du Nouveau Centre. A l’occasion de l’émission « Le Forum-Débat », animée par Abdelkrim Branine, l’homme politique revient sur divers sujets d’actualité, notamment les grèves et la participation militaire de la France en Afghanistan. C’est précisément sur ce thème, sur lequel je l’interrogeais, que la langue du ministre a fourché :

Hervé Morin : Pour ce qui est de l’armée française, je peux vous garantir que les prescriptions, les ordres qui sont donnés, c’est de faire en sorte qu’on évite les dégâts collatéraux.

Oumma : Vous savez que, selon les sondages, les Français sont majoritairement défavorables à l’intervention militaire en Afghanistan.

Hervé Morin : Oui, je sais bien parce que, parce que c’est difficile d’expliquer à des cons…à des…à des…à des hommes et des femmes qui…euh… qu’une partie de leur sécurité se joue à 7000 kilomètres de chez eux !

Durant son bafouillement, j’avais constaté qu’il réprimait un sourire, comme s’il se rendait compte d’avoir commis une maladresse particulière à l’antenne. Sur le moment, cela ne m’avait pas frappé : j’avais cru comprendre qu’il voulait parler des « concitoyens », un terme courant dans le langage politique. Préférer utiliser les mots « des hommes et des femmes » paraissait néanmoins saugrenu : effectivement, la majorité des Français que j’évoquais dans ma question sont également des « hommes et des femmes »… Par contre, qu’il soit jugé, selon les termes employés par le ministre, « difficile d’expliquer » aux Français opposés à la présence française en Afghanistan certains motifs géostratégiques rend sémantiquement plus que probable son lapsus. En somme, l’expression involontaire de sa vision toute personnelle d’une majorité de Français, assimilés à des « cons » car ils auraient des difficultés à comprendre leur implication militaire dans une conflit situé à « à 7000 kilomètres de chez eux ».

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Hervé et moi

A mon arrivée à Beur FM, le ministre, installé dans le fauteuil du hall d’entrée, m’accueille d’une ferme poignée de main, rajoutant vivement : « On se connaît, non ? ». Pour toute réponse, je lui indique que nous nous étions déjà entretenus, un an auparavant : durant la campagne des élections européennes, je l’avais brièvement interviewé durant le stage que j’effectuais alors à La Chaîne Parlementaire. Son œil malicieux me suggère que notre prétendue « connaissance » mutuelle est plus vaste qu’une rapide série de questions/réponses, réalisée début 2009. Comme c’est l’usage avec des personnalités politiques de premier plan, il arrive que le profil des interviewers soit vérifié avant la rencontre. Le regard constamment sévère de son chargé de communication à mon endroit confirme mon soupçon : ce n’est pas une vague interview, caméra à l’épaule, dont se souvient le ministre mais, plus vraisembablement, deux articles en ligne où je l’avais quelque peu égratiné et dont il eu a visiblement connaissance par son assistant : l’un, datant de l’été dernier, à propos de sa récupération des Roms pour courtiser l’électorat d’origine maghrébine et l’autre, remontant au printemps 2008 et paru sur Bakchich, pour lequel je l’avais enregistré, micro en main et à son insu, en train de sermonner un journaliste dans les couloirs de l’Assemblée nationale.

Bientôt la quille

Ce léger grief n’a pas empêché le ministre de redevenir affable et de nous confier, durant l’interview, une information exclusive au sujet de l’affaire Ben Barka. Sa décontractation avant l’antenne s’est d’ailleurs manifestée de manière singulière : spontanément, il en est venu, hors-micro, à qualifier certains de ses collègues au gouvernement par un mot particulièrement offensant s’ils venaient à l’entendre… Chose plus étonnante, il nous révéla que son inimitié à leur encontre s’expliqua par le stratagème sophistiqué que certains d’entre eux -qu’il n’a pas voulu nommer- auraient conçu pour l’attaquer : solliciter des agences de communication pour trouver des solutions afin de le rendre impopulaire dans l’opinion publique. Je lui ai demandé s’il regrettait sa prochaine mise à l’écart du gouvernement : haussant les épaules et faisant la moue, Hervé Morin ne sembla pas le moins du monde affecté par son départ inéluctable à l’occasion de l’imminent remaniement ministériel. Tout au plus, il a reconnu davantage s’inquiéter pour l’avenir de ses proches collaborateurs dont il suit par sms, I Phone constamment à la main, les nouvelles annonces de leurs perspectives professionnelles.

Au-delà de son lapsus, ou de sa rancœur manifeste envers la plupart de ses collègues, Hervé Morin nous a confié quelque chose de plus intime : d’origine modeste, il a raconté, aussi bien à l’antenne qu’en « off », son sentiment personnel d’un décalage permanent par rapport aux « enfants de bourgeois » qu’il côtoie depuis une trentaine d’années, époque de son entrée à Sciences Po. Son insistance à qualifier les Français d’origine étrangère d’« héritiers de l’immigration » et à les considérer publiquement comme une « richesse pour la France » le distingue notamment de ses confrères de l’UMP. C’est aux Etats-Unis qu’il dit avoir pris conscience, à la fois, de l’échec de la discrimination positive et de l’importance d’envisager une « mobilisation positive » des divers apports culturels de son propre pays. Candidat probable aux élections présidentielles de 2012, Hervé Morin semble déjà vouloir cultiver sa différence avec Nicolas Sarkozy, quitte à vouloir séduire, de manière trop explicite, l’électorat musulman et/ou d’origine maghrébine, par des signaux de plus en plus fréquents à son attention. Son alignement systématique sur la politique américaine en Afghanistan, comme le suggère durant notre entretien à l’antenne sa défense enjolivée de la participation militaire française, pourrait bien cependant compromettre sa conquête d’un électorat devenu incontournable pour briguer le pouvoir suprême.

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