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Lettre ouverte à Mme le Maire des Ulis

Le 15 mai 2011

Objet : laïcité, légitimité électorale et légitimité religieuse

Madame le Maire,

La détérioration de vos relations avec les représentants légitimes des Musulmans des Ulis dépasse le cadre des conflits locaux qui opposent ici et là des associations musulmanes voulant faire valoir leur droit élémentaire à avoir des lieux de culte indépendants à des municipalités ne reconnaissant cette liberté que du bout des lèvres, mais au prix d’une lecture restrictive de la laïcité. Certaines municipalités essayèrent vainement dans le passé de pratiquer un dirigisme religieux contraire à la loi de séparation de 1905, en dissimulant à peine leur désir d’utiliser pour la pêche aux voix ces lieux de culte octroyés. Mais la plupart de ces municipalités finirent par revenir à une conception plus saine de la laïcité. Certes, vous êtes en progrès par rapport à un précédent premier magistrat de la ville qui s’était autorisé à nier tout simplement ce droit élémentaire au nom d’une sorte d’intégrisme laïciste et assimilationniste invoquant indûment la « République ».

Malgré cet indéniable progrès, votre attitude demeure éloignée des exigences de la laïcité authentiquement républicaine. Vous assortissez en effet votre acceptation du projet de mosquée de conditions restrictives. La superficie accordée correspond à la moitié de ce que demande l’association la plus ancienne et la plus légitime. Celle-ci cherche à mettre fin aux prières de rue, mais aussi à prendre en charge les importants besoins culturels des musulmans des Ulis. Lui refuser la moitié de la superficie demandée en fonction d’une estimation réaliste de ces besoins revient à priver les « paroissiens » des Ulis d’une bonne partie des possibilités d’accompagner leur pratique religieuse d’une véritable intelligence de la foi.

Celle-ci suppose l’étude, l’échange et le débat, lesquels constituent de solides points d’ancrage entre la tradition intellectuelle française et celle de l’Islam. Quel intérêt avez-vous à enfermer les ulissiens de confession musulmane dans un ritualisme sommaire contre lequel mirent en garde de grands spécialistes comme le regretté M. Arkoun qui recommandait d’ouvrir un centre culturel près de chaque mosquée ? Vous savez très bien qu’en privant les musulmans des Ulis des moyens d’encadrer leur nombreuse jeunesse, vous ne faites qu’augmenter les risques de dérives fâcheuses qui résultent souvent d’une dangereuse dissociation de la foi et de la raison, et d’une contestable marginalisation de la connaissance humaniste au profit des dogmatismes pouvant être dommageables pour le « vivre ensemble » quand il ne se trouve pas réduit à l’état de slogan trompeur. Savez-vous qu’en refusant la superficie demandée pour ouvrir un grand centre culturel dans la mosquée, vous favorisez cette dissociation ?

Avez-vous oublié l’exemple de Rennes dont le maire- socialiste comme vous- Edmond Hervé a non seulement favorisé l’ouverture d’une mosquée, mais il a encouragé les activités culturelles de celle-ci en les finançant par la mairie ?

Cet authentique homme de gauche s’était bien gardé d’intervenir dans les affaires intérieures d’un culte et d’une communauté à qui il a laissé le soin de choisir ses représentants. La mairie des Ulis est aux antipodes de ce bon précédent, puisque plusieurs associations furent créées par elle juste pour empêcher les représentants légitimes des musulmans des Ulis de gérer eux-mêmes leur mosquée. Ces associations- « Vivre ensemble », « Avenir », « Andalous » – sont contrôlées par des conseillers municipaux, dont quelques-uns ne seraient même pas musulmans.

Quelle que soit leur confession, les conseillers municipaux ont une légitimité électorale qui ne crée aucune situation particulière sur le plan religieux. La légitimité religieuse est conférée par la piété, le savoir qui rapportent la confiance des fidèles. Les responsables de l’association qui dirige depuis plus d’un quart de siècle la salle de prière du foyer de travailleurs bénéficient de cette confiance, du soutien des pratiquants « saisonniers » et même des musulmans non pratiquants sidérés par cet interventionnisme municipal si contraire à l’esprit et à la lettre de la laïcité.

Grâce à Internet, des musulmans de toutes régions assurent de leur soutien les vrais représentants de l’Islam aux Ulis, avec toutes les mauvaises conséquences pour l’image d’une municipalité qui se permet de fractionner la laïcité. Savez-vous que votre étrange attitude vous rapproche d’un Copé qui prétendait imposer l’usage exclusif du français dans les prêches, sans doute pour préparer les esprits à la diffusion de consignes de vote au moment de la prière, avec le risque d’introduire la discorde dans des sanctuaires devant rester maintenus à l’écart de la politique politicienne qui divise là où la foi maintient une unité morale ?

En outre, en voulant confier prioritairement les affaires du culte à des conseillers municipaux- qu’ils croient au Ciel ou qu’ils n’y croient pas, qu’ils soient pratiquants ou pas- organisés en associations in extremis et pour les besoins de la cause, vous ne faites qu’ empêcher ces élus de s’occuper de leurs charges à plein-temps. Vous voyez à quelles inconséquences dommageables pour les intérêts de la ville peut conduire votre refus de laisser une association légitime, et jalouse de son indépendance, construire une mosquée réclamée depuis 15 ans.

On ne peut certes nier le droit à un conseiller municipal musulman pratiquant d’être membre, à titre individuel, d’une association qui gère une mosquée. Mais on ne peut qu’être intrigué quand des conseillers municipaux s’organisent en association juste pour se mettre au service d’une politique musulmane dirigiste, et favorisant le communautarisme qui privilégie arbitrairement et au mépris des données démographiques une nationalité d’origine aux dépens de nombreuses autres.

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L’utilisation d’une « grève de la faim » plus ou moins authentique comme prétexte à ce dirigisme religieux ne change rien aux incohérences de cette étrange « politique musulmane » municipale.

On peut difficilement rester indifférent face à cette situation qui devient plus singulière encore quand on apprend par ailleurs que la municipalité se serait empressée de trouver une solution bâclée juste pour obéir à d’éminents responsables du Parti Socialiste obnubilés par 2012 et habitués à imposer à la tête des mosquées des personnes choisies uniquement en fonction d’un subjectif parti-pris pour leur pays d’origine. Il serait trop long de vous citer les villes où l’attribution de mosquées et même d’ « institut » (jamais sorti, et pour cause, d’un état permanent d’hibernation) en fonction de critères aussi sommaires a créé des situations conflictuelles de plus en plus préoccupantes.

Il faudrait remonter loin dans l’histoire de la laïcité coloniale pour trouver des précédents comparables à l’étrange « politique musulmane » que cherche à mener la mairie des Ulis en plein XXIeme siècle. Pour ceux connaissent l’histoire, cela renvoie à la période où les pouvoirs coloniaux simulèrent l’application à l’Islam de la loi de 1905, et firent infiltrer les Cultuelles musulmanes par des membres choisis par le Gouvernement Général d’Alger en fonction de leur docilité. On ne peut pas s’empêcher non plus de comparer avec l’incroyable « Circulaire Michel » du 17 février 1933 qui fit dépendre le culte musulman en Algérie d’un secrétaire général (non-musulman) de la Préfecture chargé des Cultes et de…la Police. Mais ces agissements furent dénoncés solennellement aux tribunes de l’Assemblée Nationale et du Conseil de la République, en août 1947, par un authentique socialiste, le ministre de l’Intérieur Edouard Depreux qui eut le courage d’un véritable acte de repentance. On ne peut manquer non plus de se souvenir de la nomination illégale (au point d’être condamnée par le Conseil d’Etat) en 1957 d’un recteur fantoche à la tête de la mosquée de Paris par Guy Mollet, qui n’était pas, il est vrai, à une bavure près.

Ce que vous faites avec les musulmans des Ulis peut être classé, hélas (plusieurs fois), avec les maladresses de ces chefs de file de la gauche coloniale, et les incompréhensions historiques de l’Islam par la social-démocratie.

Mais il est encore temps de vous ressaisir en évitant de vous contenter des avis peu désintéressés des nouveaux bureaucrates de la foi qui siègent dans des conseils à légitimité très limitée parce qu’ils y sont cooptés avant même les élections. A la veille de leur renouvellement, ces conseils dits représentatifs se trouvent contestés à la fois pour leur très maigre bilan et en raison de leur peu démocratique mode de désignation. Sans parler du manque d’impartialité de leur arbitrage, où la connivence semble compter infiniment plus que l’intérêt général. Vous aurez dû vous aviser de vérifier si l’impartialité de ces « représentants » -connus pour leur « approbationnisme » destiné à rester toujours en bons termes avec l’administration- est moins sujette à caution que celle du directeur de revue à la médiation duquel votre prédécesseur avait fait appel.

On sait maintenant que les bons offices de ce singulier médiateur firent l’objet d’une tarification au prorata des sérieux déficits de sa défunte publication. On sait aussi que ce dernier continue de s’intéresser de près au culte musulman en France à partir du ministère des affaires religieuses d’un pays du Maghreb qui l’emploie et d’où une équipe spécialisée s’efforce de téléguider les élections des membres du CFCM et des CRCM. Des habitués du procès d’intention parlent de concertation entre cet ex-médiateur et les « représentants » locaux du culte musulman qui ont béni a postériori la décision municipale de confier la construction de la mosquée à l’association reliée à la mairie par un solide cordon ombilical. Bien qu’il ne faille rien exclure dans des cas pareils, personnellement je m’abstiens de m’appesantir sur cette dernière hypothèse.

Vous vous honorerez en décidant de mettre fin à cette crise qui n’a que trop durer. Cela se pourra si la mairie accepte de dissiper toute équivoque en confiant noblement le projet de mosquée et de centre culturel à ceux qui s’occupent du culte depuis deux ou trois décennies, et en laissant vos conseillers municipaux, musulmans ou non-musulmans, à leurs feux rouges, à leurs piscines ou à leurs crèches – tous domaines où il reste toujours beaucoup à faire. Vous bénéficierez alors de la même estime que Depreux et Hervé auprès de tous les citoyens demandeurs d’une vraie rupture avec la laïcité coloniale au profit de la laïcité républicaine- séparant nettement le politique et le religieux. Ce faisant, vous mettrez au point vos relations avec vos administrés musulmans qui sauront alors pardonner et même oublier les errements passés, sans doute dus à une connaissance insuffisamment approfondie de ces questions qu’à de mauvaises intentions.

Veuillez croire, Madame le Maire, à l’assurance de ma haute considération et agréer l’expression de mes sentiments les meilleurs.

Sadek SELLAM

Historien de l’Islam contemporain

PS- Compte-tenu des proportions prises par ce sempiternel conflit, des copies de cette lettre ouverte seront adressées à des dirigeants socialistes attachés à la laïcité républicaine comme François Hollande, Jean-Marc Ayrault, Arnaud Montebourg, Pascal Lamy, Jean-Paul Huchon ; ainsi qu’aux principales chaînes satellitaires arabes qui sont très suivies en France, et qui s’intéressent particulièrement à ces questions. Je ne manquerai pas de vous signaler les futures émissions qui aborderont ce problème afin que vous puissiez exposer votre point de vue, qu’il soit modifié dans le bon sens, ou qu’il demeure obstinément inchangé. Il va sans dire que les supports écrits ou électroniques prêts à faire connaître cette lettre seront disposés à accueillir également votre éventuelle réponse.

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