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A qui profitent les révélations de Wikileaks ?

Psychodrame international. Dimanche, le site Wikileaks a commencé à dévoiler des centaines de milliers de rapports diplomatiques, la plupart classés confidentiels. En ligne de mire : les Etats-Unis mais aussi, et surtout, l’Iran, la Turquie et le Pakistan. Retour sur une divulgation unanimement critiquée par les chefs de gouvernement à travers le monde, à l’exception d’un seul qui l’a salué aujourd’hui : le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu.

Des potins sur les grands de ce monde : c’est ce qui ressort de la couverture médiatique initiale au sujet des 250000 mémos diplomatiques en cours de publication par le site Wikileaks et son porte-parole, Julian Assange, déjà interrogé précédemment par Oumma. Aucun secret d’Etat n’est dévoilé. Sarkozy en « empereur nu, autoritaire et susceptible », Angela Merkel surnommée « Teflon »,  Berlusconi en amateur de « parties sauvages », Kadhafi et son « infirmière ukrainienne, blonde et voluptueuse » et Poutine vu comme un « mâle dominant » : la géopolitique abordée sous l’angle people. Plus intéressantes sont les révélations, dignes d’un thriller d’espionnage, sur la propension des diplomates américains à recueillir tout élément d’information (y compris l’ADN) au sujet d’individus jugés intéressants par le Département d’Etat. De même, une rumeur stupéfiante, autrefois envisagée avec dédain par les zélateurs de Washington, est désormais confirmée : les Etats-Unis ont proposé de réaliser un « troc » entre prisonniers de Guantanamo et avantages diplomatiques en tout genre à des pays divers tels la Belgique et la république insulaire de Kiribati. D’autres informations sont plus anecdotiques comme celle relative au vice-président afghan, Ahmed Zia Massoud, transportant 52 millions de dollars en cash aux Emirats arabes unis. Un autre secret de polichinelle est aussi confirmé : la prépondérance de notables saoudiens dans le financement d’Al Qaida. Plus compromettante pour les Etats-Unis est la divulgation d’un mémo indiquant les intimidations des Américains à l’encontre de l’Allemagne pour ne pas poursuivre en justice la CIA, responsable de la séquestration en Afghanistan d’un citoyen allemand confondu avec un terroriste.

L’embarras touche aussi le Moyen-Orient : l’Arabie saoudite, la Jordanie et le Bahreïn se révèlent être des partisans vindicatifs d’une attaque américaine contre l’Iran. Autre source de gêne, la position du président yéménite, exprimée en janvier dernier, à l’égard des victimes de bombardements américains dans son propre pays : non seulement il ne condamne pas ceux-ci mais il s’est explicitement engagé à occulter la responsabilité américaine en revendiquant lui-même les attaques contre les groupes islamistes. Inquiet des trafics d’armes et de drogues, le président yéménite, Ali Abdullah Saleh, précise au passage, à l’attention du général américain David Petraeus, se soucier davantage que le whisky arrive à bon port, « pourvu qu’il soit bon ».

La France, nain politique

Qu’en est-il de la France ? La confirmation de ce que l’on savait déjà : l’hostilité des diplomates de l’Elysée, dont le premier en tête, Jean-David Levitte, à l’endroit de l’Iran, cet Etat « fasciste » ou du Venezuela, pays dirigé par ce « fou » de Hugo Chavez. Plus singulière est la révélation relative à l’ancien ministre de la Défense, Hervé Morin  : lors d’un entretien effectué en février dernier avec son homologue américain, le président du Nouveau Centre a fait preuve d’une certaine résistance aux desideratas américains, critiquant l’opportunité d’un nouveau système de défense anti-missiles sous l’égide de l’Otan ou la mise à distance de la Russie dans des transactions d’équipements militaires. Au passage, le mémo révèle une chose étonnante : le désaveu du ministre par ses propres subalternes qui ont fait savoir aux Américains que son « opinion » ne reflétait que la sienne. Il est aussi question dans ce rapport confidentiel de l’envoi secret de forces spéciales françaises pour tenter de libérer les journalistes de France 3 détenus en Afghanistan ou de l’engagement du secrétaire américain à la Défense de ne pas embarrasser les Français, sur la question délicate du renfort militaire, au cours de la campagne des élections régionales.

Pour le plus grand bonheur de Tel Aviv

« Ces [révélations] n’affectent pas du tout Israël, peut-être même est-ce le contraire », a reconnu Giora Eiland, général israélien à la retraite et ancien conseiller d’Ariel Sharon. Ces documents, précise-t-il, « montrent que des pays arabes tels que l’Arabie saoudite s’intéressent bien plus à l’Iran qu’au conflit israélo-palestinien, par exemple ». Le Premier ministre est encore plus enthousiaste : «  Pour la première fois dans l’histoire, il y a un consensus pour dire que l’Iran est la menace ». Lyrique, Benjamin Netanyahu veut s’afficher comme un pacifiste  : « Si la divulgation amène les dirigeants de la région à parler ouvertement contre Téhéran, alors les révélations auront contribué à la paix dans le monde », ajoute-t-il. Priez de ne pas sourire : les documents révélés pas Wikileaks, décrivant une menace nucléaire croissante de la part de l’Iran, les liens de la Turquie avec Al Qaida en Irak, le danger pakistanais et la discorde au sein de la Ligue arabe font les délices de Tel Aviv qui œuvre, comme chacun le sait, pour « la paix dans le monde ». Gideon Lévy, chroniqueur au quotidien Haaretz, ne s’y est pas trompé : fin octobre, dans un éditorial satirique, il avait félicité, au nom d’Israël, Wikileaks pour avoir démontré au reste du monde que les exactions de guerre commises par les Américains étaient bien plus graves que celles effectuées en 2009 par l’armée israélienne dans la bande de Gaza. De là à suspecter que Wikileaks est une habile opération psychologique sous-traitée par des services secrets, notamment israéliens, c’est une hypothèse, déjà populaire sur Internet, que rien de substantiel ne permet à ce jour d’étayer. Une chose demeure pourtant évidente : en 2010, les révélations du site ont davantage embarrassé les Etats-Unis, ses alliés au Moyen-Orient et l’Iran qu’elles n’ont gêné d’autres puissances régionales comme la Chine, l’Inde et Israël.

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Evidemment, parmi les documents divulgués, certains peuvent titiller quelque peu les alliés traditionnels de Tel Aviv : ainsi en va-t-il de celui relatif au Maroc. Après avoir qualifié le président Kadhafi d’« émotif » et déploré le danger islamiste au sud de l’Algérie, Meir Dagan, l’ancien directeur du Mossad (qui vient justement de quitter ses fonctions après huit ans de bons et loyaux services en tout genre), avait fait savoir en 2007 aux diplomates américains que le Maroc, confronté au terrorisme, s’en sortait plutôt bien, « en dépit de son roi  ». Sous-entendu : à ses yeux, Mohammed VI n’aurait pas d’intérêt pour la gouvernance du pays. Difficile, pourtant, de concevoir, à ce jour, une réaction indignée de Rabat à l’endroit de Tel Aviv pour ce propos peu amène.

Autre exemple d’un embarras tout relatif : la révélation d’une inquiétude des autorités israéliennes à l’encontre de l’Iran avant l’accession au pouvoir de Mahmoud Ahmadinejad. En mars 2005, soit quelques mois avant l’élection du maire de Téhéran à la présidence du pays, Ariel Sharon redoutait déjà la prétendue menace nucléaire que constituerait l’Iran à moyen terme. Dans l’opinion publique, le danger iranien est surtout associé au tempérament provocateur de Mahmoud Ahmadinejad . Le mémo de 2005 suggère pourtant que l’Iran, même sous la direction du modéré Mohammad Kathami, était déjà perçu comme la menace la plus importante après l’élimination opportune de celle que représentait l’Irak.

The show must go on

La satisfaction publique d’un Benjamin Netanyahu révèle l’identité du camp réjoui par les dernières révélations de Wikileaks : non pas un quelconque « axe américano-sioniste » mais plus précisément la frange dure des néoconservateurs  américains, israéliens et européens qui propagent, depuis une quinzaine d’années, le fantasme d’un « péril islamo-nucléaire » incarné par le Pakistan et l’Iran et la nécessité, en corollaire, d’assurer la sécurité d’Israël par tous les moyens nécessaires. Le mensonge et la ruse au besoin, comme l’illustre le mythe, toujours impuni, des armes de destruction massive en Irak.

Et le jeu de dupes continue. Dimanche, le ministre italien des Affaires étrangères a qualifié la divulgation opérée par Wikileaks de « 11-Septembre diplomatique ». Peu s’en souviennent mais au lendemain des attentats de New York et du Pentagone, un certain Benjamin Netanyahu s’était publiquement félicité de la tragédie, indiquant qu’il s’agissait d’une « bonne chose pour Israël ». Neuf ans plus tard, le même homme, qui a reconnu avoir anticipé les révélations de Wikileaks, sait toujours comment instrumentaliser positivement les événements de son époque. Pourvu qu’ils soient nimbés de mystère quant à l’identité réelle de leurs commanditaires.

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